Le Photojournaliste dans la vraie vie! Quel constat?

Publié le par mademoiselle-elda.over-blog.com

Triste jour en ce jeudi 27 janvier 2011 puisque les obsèques de Loucas Von Zabiensky-Mebrouk ont été célébrées à Paris. Il n’avait que 32 ans et couvrait pour le compte d’une agence de presse les événements liés aux émeutes en Tunisie peu avant la chute du président du pays.

Mais combien d’autres subissent de violence, ne reviennent pas ou se retrouvent amputés à vie dans l’exercice de leur métier, principalement sur les zones de conflits….Selon le baromètre de la liberté de la presse communiqué par Reporter sans Frontières, à ce jour sont emprisonnés 157 journalistes, 9 collaborateurs et 112 net-citoyens. Sans oublier Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière pris en otage avec leurs accompagnateurs en Afghanistan depuis 396 jours….

Et puis dernièrement, en Egypte entre le 25 janvier et le 27 janvier, 8 journalistes, leurs assistants voire des chefs de rédaction sont la proie régulière des forces de l’ordre pris pour cibles ou arrêtés.

 

Pour beaucoup la vision du métier de photojournaliste est décalée vis-à-vis de la réalité quant aux conditions de travail. Bien souvent, le public voit un résultat fini, des images et une histoire liée à un événement d’actualité. Je me souviens encore de la file d’attente impressionnante pour obtenir une dédicace à Visa pour l’Image ou pour aller voir une exposition pour l’édition 2010. Une fréquentation si j’en crois certains articles, exceptionnelle, et qui confirme l’intérêt du public vis-à-vis du photojournalisme. Oui, le photojournalisme présente un attrait aux yeux du grand public, mais dans la vraie vie, quel constat aujourd’hui se pose pour le métier de photojournaliste ? Ses conditions de travail, les risques personnels qu’il prend ? Quel avenir pour les jeunes professionnels ? Quel avenir pour les pigistes ?

Vous me direz, c’est le risque du métier lorsque l’on couvre des conflits, lorsque l’on travaille en zone de tension ou en période de guerre…Et pour reprendre le titre de l’article de Wilfrid Estève « Justifier l’injustifiable¹ » est-il pour autant normal ?

 

Je m’interroge sur bon nombre de points et surtout pour les jeunes professionnels. Si je reprends les termes de Wilfrid dans son article « l’évolution des pratiques dans les médias expose et précarise de plus en plus les photojournalistes, pigistes pour la plupart […] Souvent en autoproduction [sans commande ferme, ni de garantie de la part d’une rédaction], simplement diffusés par une agence-voire mal- couverts par une assurance spécifique, sans accréditation ou carte de presse et avec des moyens limités, les journalistes restent des cibles privilégiées sur le terrain. Ils sont fréquemment pris à partie par les bandes, les services d’ordre des syndicats ou des partis politiques, les forces de l’ordre ou armées. Ceci à l’étranger tout comme à Paris où les CRS ont la fâcheuse tendance à frapper et molester les journalistes. »…Le photojournalisme n’est pas mort par contre, les conditions d’exercice de ce métier sont un sujet de fond et préoccupant. En effet, pour aller plus loin que les questions posées plus haut, c’est un thème complexe à développer.

 

Il existe des recommandations comme un Guide pratique du journaliste, des stages de formation dixit Wilfrid « l’armée française organise des stages d’information sur les risques en zones de conflit et la Croix-Rouge des stages de secourisme […] L’usage du casque et d’un gilet pare-balles (prêt gracieux par RSF) sont recommandés […] Les photojournalistes et pigistes se heurtent à nouveau aux conditions d’attribution de la CCIJP (carte de presse internationale reconnue dans 120 pays) ».

Il alerte et appelle à la vigilance quant « aux nouveaux contrats collectifs signés par les organisations syndicales et la responsabilité des rédactions et des agences de presse qui ne couvrent pas les photojournalistes avec des assurances spécifiques. » Oui mais…pourquoi assistons-nous à « une réduction du montant des piges et des frais, à la multiplication des photographies DR, libres de droits ou issues de microstock » ? Comment le jeune professionnel, qui n’est pas forcément en mesure d’imposer des conditions contractuelles normales peut-il travailler ? A-t-il la possibilité de réellement refuser des conditions de travail précarisant son statut et son travail ?

 

A ma grande surprise je découvre que ce jeudi 27 Janvier 2011, L’Ecole de Journalisme de Sciences Po a proposé un Master Class avec l’un des auteurs du Guide pratique de la Pige 2011-2012 Xavier Cazard ². J’attends avec impatience la diffusion de l’article qui synthétisera sa contribution si toutefois il est publié. Et lorsque je développe mes recherches, je lis un article sur le Libé datant du 10 mai 2010 écrit par Frédérique Roussel³ sur les conditions réelles de travail des pigistes et leur situation professionnelle. Les constats peu réjouissants énoncés successivement par Pierre Tessier du collectif Terrier d’Hégésippe qui indique que « la situation de Pigiste est de moins en moins choisie et de plus en plus subie » et Manuel Jardinaud qui précise «  qu’ils sont bien implantés dans le métier, mais l’offre se réduit et les salaires régressent»

Mais cet article met en lumière une nouvelle forme d’organisation depuis 1998, avec la création d’un collectif aujourd’hui connu sous l’appellation des Incorrigibles du Surmelin (au départ 3 journalistes formées à l’EMI-CFD qui ont fondé Barricades, ancien nom de ce collectif et qui comptabilise aujourd’hui 17 professionnels âgés entre 28 et 40 ans), de ces professionnels qui se regroupent afin de rompre avec l’isolement, et mutualiser les frais, les ressources, le réseau. Mais plus encore, outre le fait que ce regroupement permet un travail plus en adéquation avec les préconisations données par les syndicats et autres acteurs du secteur, ils tentent d’être plus visibles et réfléchir aux évolutions des pratiques.

 

Plus récemment, le webzine géré par les étudiants de Master2 de l’Ecole de Journalisme de Bordeaux diffuse un article le 17 décembre 2010 faisant le point sur ces collectifs. Maéva Louis4 précise la situation et éclaire nos esprits embrumés. Compte tenu de l’évolution des médias et de l’essor du web, selon le Guide de la Pige 2011-2012, 303 collectifs en tant qu’agence de presse sont répertoriés début 2010 en France. Leur plus consiste à salarier les journalistes et fonctionner en groupe avec « une répartition des tâches ». Les collectifs sous statut associatif loi 1901 sont toujours présents sur le réseau. Certains pensent évoluer administrativement parlant et d’autres préfèrent conserver ce statut avec une cotisation assurée par ses membres afin de garantir leur indépendance, leur liberté. Ils prônent le règlement en salaire des piges à honorer tout en jouant sur la complémentarité et le réseau au sein même du groupe. Est-ce une lueur d’espoir que de réaliser, que les jeunes professionnels n’ont pas attendu la révolution amenée par l’essor d’internet et la crise du secteur pour tenter de palier aux difficultés rencontrées sur le terrain après l’école?

 

Pour réellement comprendre les difficultés énoncées par les photographes, pigistes, journalistes indépendants, collectifs, je me suis permise de faire une petite analyse comparative sur la base des données chiffrées communiquées sur le site Journalisme.com5 concernant les premières demandes d’attribution des cartes de presse…A la date du 02 janvier 2009, les chiffres les plus récents accessibles sur le site indiquent que, 37307 cartes de presse ont été délivrées, dont :

5559 renouvelées aux journalistes rémunérés à la pige titulaires.

1219 renouvelées aux journalistes rémunérés à la pige stagiaires.

(Voir la spécification de titulaire et de stagiaire en Nota Bene en fin d’article).

790 nouvelles demandes ont été formulées pour son obtention, soit 40% de nouvelles demandes en 2009 concernent cette catégorie par rapport aux nouvelles demandes de journalistes mensualisés car il y a eu 35303 renouvellements. A la lecture de chiffres communiqués sur 3 ans, ils ne démontrent pas de manière significative d’une augmentation importante de premières demandes par rapport aux renouvellements d’attribution (entre 2007 et 2009). Par ailleurs, le nombre des premières demandes concernant les journalistes rémunérés à la pige est toujours inférieur par rapport à ceux qui sont mensualisés. D’une année sur l’autre, le nombre de ces premières demandes reste équivalent quel que soit la catégorie concernée, voire diminue légèrement pour 2009 par rapport à la différence notée entre 2007 et 2008 (plutôt en petite augmentation). En résumé il paraît difficile de faire le constat que le nombre de journalistes payés à la pige soit en forte augmentation sur la base de ces nouvelles demandes. Mais est-ce la réalité ? Est-ce que tous les journalistes sortis d’écoles reconnues ou pas ont la démarche de demander cette carte de presse ?

 

A l’occasion des dernières assises du journalisme qui ont eu lieu à Strasbourg en novembre 2010, la question des nouvelles pratiques, de l’éthique et de la charte d’éthique ont été débattues. Autant dire, que le futur du journaliste est pris en considération, mais les issues pour un positionnement unanime de la part des acteurs syndicaux et autres sur ces points est loin d’être obtenu et ne sera certainement pas le parcours sur un long fleuve tranquille ! Ce que je retiens néanmoins, c’est que la question est posée et donc préoccupe.

 

Au-delà de ce point, l’article d’Esther H.6 du 19 Décembre 2010 dans Mediapart sur la précarisation du métier énonce très bien via les entretiens, l’abus constaté par les organisations syndicales de la part de magazines quant aux contournements récurrents de la loi en matière de droit du travail, l’usage répété de CDD sans transformation en CDI, de piges nombreuses et de l’impact du concept de profit qui détériorent les conditions de travail des journalistes. Tout ceci interroge ! J’en conviens.

 

Et puis j’ai voulu me pencher sur les débats actuels chez les iconographes7 afin de faire le tour complet de la question. Malheureusement, j’ai trouvé de maigres informations si ce n’est que la page du site de l’Association est en cours de construction et certains articles sont accessibles uniquement aux adhérents. Vous m’excuserez d’avance, si je ne peux écrire une analyse et donner votre point de vue. Ceci étant dit, les commentaires sont appréciés donc n’hésitez pas pour intervenir et ce dans des propos respectueux, j’y tiens et je respecterai ce principe.

 

En conclusion et sans développer la partie économique qui très certainement est un paramètre qui rentre en ligne de compte…Dans la vraie vie, les conditions d’exercice du métier de journaliste ne doivent-elles pas être plus développées?…Le témoignage de jeunes professionnels et des collectifs de journalistes seraient une piste…Car informer et sensibiliser sur la façon de s’y prendre pour vendre un reportage est tout aussi utile que la connaissance des pratiques réelles et de l’écart qu’il peut exister entre son imaginaire et l’idéalisme lié à la jeunesse et les difficultés du quotidien…Peut-être est-ce un futur thème de Master Class envisagé par l’Ecole du Journalisme de Sciences Po ou d’autres acteurs comme Freelence… ?

 

En tout cas, il me semble, sans vouloir faire de démagogie, que d’essayer de dresser un état des lieux des pratiques réelles et non pas théoriques et d’avoir connaissance des stratégies qui permettraient d’améliorer les conditions de travail des professionnels seraient un plus pour les futurs journalistes.

 

¹ Justifier l’injustifiable. Wilfrid Estève. 08 Janvier 2011

http://www.wilfridesteve.com

² http://www.journalisme.sciences-po.fr rubrique Evenements-Master class dont les articles suivants :

Xavier Cazard en master class

Photojournaliste de guerre. Michael Kamber photojournaliste au New York Times. 28.04.2010 il témoigne de ses conditions de travail.

Il faut accéder au cerveau du rédacteur en chef. Rue 89 avec le témoignage de Pascal Riché co-fondateur et Rédacteur en Chef.

Je suis pigiste par choix. Wilfrid Estève.

³les pigistes la jouent collectifs. Frédérique Roussel- 10 Mai 2010. http://www.liberation.fr/medias/0109634503-les-pigistes-la-jouent-collectifs

4 Collectifs de journalistes : la revanche des précaires. Maéva Louis- 17 Décembre 2010 http://www.lafabriquedelinfo.fr

5 http://www.journalisme.com chiffres clés.

6 Quand les patrons des médias abusent de la précarité. 19 Décembre 2010. Esther H. http://www.mediapart.fr/club/blog/esther-h/191210/quand-les-patrons-des-medias-abusent-de-la-precarite

7 http://www.ani-asso.fr

 

http://www.panorama.alliance-journalistes.net

http://www.rsf.org 

http://www.observatoire-medias.info/rubrique.php3?id_rubriques:107

http://www.themediatrend.com géré par Marc Mentré. Je vous recommande plusieurs lectures dont :

Sites de presse magazine : la vitesse contre la qualité.

Journalisme : photographie d’une profession malade. 

http://incorrigibles.wordpress.com c’est le blog du collectif Les Incorrigibles du Surmelin.

 

 

Nota bene : Le titulaire est diplômé d’une Ecole reconnue et détient 1 an d’exercice, le stagiaire a suivi un cursus mais il lui faudra 2 ans d’exercice pour pouvoir obtenir le statut de titulaire.

 

Publié dans Photojournalisme

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P
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Je vous invite, pour des chiffres très précis sur la situation des photojournalistes, à consulter le rapport commandé par le ministère de la Culture et rendu public début septembre. C'est éclairant<br /> :<br /> http://www.dgmic.culture.gouv.fr/IMG/pdf/Photojournaliste_Rapport_definitif.pdf<br /> <br /> Je me permet aussi de faire un petit peu de promo sur une série d'article que j'avais écrit il y a déjà un an et pour laquelle il y a je pense peu de changements par rapport à aujourd'hui :<br /> http://www.blog.pierremorel.net/2009/12/07/et-si-les-photojournalistes-etaient-les-plus-aptes-a-sur-vivre-aux-mutations-des-medias-15/<br /> <br /> Merci pour ces articles sur notre métier en tout cas.<br /> <br /> Pierre<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Bonsoir et merci beaucoup!<br /> <br /> <br /> Je vais consulter ce rapport et au contraire, je suis preneuse d'informations complémentaires qui permettront d'élargir nos connaissances sur ce sujet.<br /> <br /> <br /> Bien à vous.<br /> <br /> <br /> <br />